Rimes et chuchotement

Florence Fréson
lundi 25 février 2019
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Du 9 mars au 14 avril 2019
Vernissage le vendredi 8 mars à 18h30
à la galerie de Wégimont Culture

  Par Anne Gersten ...

Pour cette nouvelle exposition, Florence emprunte un « chemin de traverse »1 et présente des œuvres inédites, insolites et bouleversantes.
Quelques sculptures tout de même – qui connaît l’œuvre de l’artiste s’y attend – juste là pour entrer en résonance avec les œuvres inconnues et singulières accrochées aux cimaises qui ne sont pas… des peintures.

Ni encre, ni huile, ni acrylique, ni brosses ni pinceaux pour réaliser les tableaux. Le support est enduit de gesso et de pigments, de poudre de pierre, de graphite, de schiste ardoisier. Étalées avec les mains, ces matières sont frottées, poncées, griffées, grattées. Recouvert à nouveau, l’ouvrage est retravaillé encore et encore.
Dans une première série de toiles, la matière, dense et grumeleuse s’écrase en croûtes opaques ou, légère et soyeuse, affleure en voiles transparents. La matière craque, forme de fines crevasses, gonfle en légers bourrelets, s’étire en taches informes, les empâtements se disloquent, des abîmes s’entrouvrent. Au cœur de ces terres minérales, des rouges, verts, bleus, jaunes surgissent çà et là, francs et lumineux ou à peine perceptibles.
Traces… disparition ou résurgence ? Blessure ouverte ou refermée ?
Déchirure ou rimes et consonances ?

Le « chemin de traverse »
Denyse Fréson-Chabot, la maman de Florence était peintre. À Paris, dans l’immédiat après-guerre, elle fréquentait l’Académie de la Grande Chaumière et l’Académie Julian. Entre diverses formations en dessin, sculpture et peinture, suivies ensuite à Liège, elle choisit finalement la peinture et s’oriente dans une voie radicale, celle de l’abstraction géométrique.
À l’occasion d’une exposition qui lui fut consacrée en 1991 à la galerie de Wégimont, Benoît Franck écrivait dans les pages de notre revue : « D’expérimentations en recherches, nous pouvons voir, ici à la galerie, de vastes toiles très architecturées où la jubilation colorée le dispute à la rigueur nécessaire »2. Denyse est décédée le 14 septembre 2016. Ses premières « huiles » datent de ses 15 ans et dès lors, elle n’a plus jamais cessé de peindre. Une longue période figurative précéda les toiles abstraites résolument modernes qui firent l’objet de différentes expositions.

Après cette fin d’été où Florence et ses deux soeurs perdirent leur maman, elles se partagèrent les nombreuses toiles accumulées dans l’atelier, mais tout – les œuvres de jeunesse et celles de moindre qualité – ne pouvait trouver place. Il fallait donc bien… s’en débarrasser. Florence eut alors l’idée de leur donner une seconde vie et elle les utilisa comme support de sa propre création. Elle entreprit de les recouvrir de ces matières minérales issues de la nature qu’elle affectionne tant. Comme on serre dans ses bras une dernière fois la personne aimée, comme on y dépose doucement le linceul pour la couvrir, Florence Fréson a posé sur les tableaux de sa maman un « recouvrement » léger d’abord, transparent, laissant deviner le corps, les formes et couleurs. Avec les mains, elle a étalé ce voile, puis l’a frotté, écrasé pour le faire pénétrer, tout en veillant à laisser visibles les traces de l’ancien ouvrage. Revenant à la charge, Florence recouvre encore, ponce, griffe, gratte la matière pour garder le contact, pour susciter le dialogue, pour amorcer le partage et toujours faire resurgir les traces de vie. Résultat : des « surfaces sculpturales » abstraites où vont et viennent à travers les strates de matières, quelques plages colorées éphémères. Comme sur les vieux murs, des couches de vie s’accumulent, se superposent et finissent par se confondre.

Cet œuvre de « recouvrement » de Florence Fréson se déroule en plusieurs séries, en autant de variations. Chacune des séries, même si l’œuvre entier a été réalisé en une année, correspond à différentes étapes que l’artiste a déjà longuement explorées dans sa sculpture sur pierre. Évoquons donc ici ce travail.

Florence Fréson a choisi la sculpture après avoir terminé une licence en histoire de l’art. Au-delà des savoirs, aborder elle-même la pratique lui semblait être la meilleure tentative de compréhension de la création artistique qui anime l’homme depuis les origines.

Refaire le premier geste. Graver la pierre.
Inscrire un signe dans la matière. Laisser une trace.
Tenter de percer le secret de l’univers.
Et… prolonger cette interrogation des hommes et des artistes depuis 35 000 ans.

Les sculptures de Florence Fréson ne sont pas tout à fait des sculptures, elles ne génèrent pas de formes, elles ne décrivent rien, ne racontent rien. Le plus souvent, ce sont des pierres plates quadrangulaires, exposées à même le sol – ou très légèrement surélevées pour qu’elles respirent –, ancrées dans la terre et tournées vers le ciel. Sur ces pierres, l’artiste grave des traits, y inscrit de fines incisions, imprime quelques griffures. Ne pas blesser, écorcher, amputer la matière, juste l’animer d’un souffle, inscrire une trace, un signe léger, sobre, simple « non pour dire moins mais juste ce qui est suffisant », aime-t-elle à préciser.

Florence ne parle pas de « soi », elle ne fait pas non plus « parler les pierres », elle les réveille doucement et nous éveille, elle révèle l’intime, le sensible, et… le sacré. Cette sacralité des origines telle que l’a comprise et magnifiquement exprimée Barnett Newman (3), dans son ouvrage, The First Man Was an Artist : « La forme d’expression primordiale de l’homme a été un cri d’indignation poétique, de terreur et de colère devant sa condition tragique, son éveil à la conscience et sa propre impuissance en face du vide. Le premier discours de l’homme s’est adressé à l’inconnaissable. Le comportement originel de l’homme, avant d’être utilitaire a été esthétique : sa main a pris un bâton pour tracer un trait dans la boue bien avant qu’il ne sache le lancer comme javelot […] La représentation de Dieu […] a été sa première activité manuelle ».

Note d’intention
Revenons aux œuvres exposées et, pour bien les apprécier, à la note d’intention fournie par l’artiste. Florence Fréson a structuré son œuvre de « recouvrement » en six séries dont les titres et les explications renvoient aux principaux questionnements abordés dans sa sculpture :
Couleur en tête : pour commencer, « épargner » quelques plages colorées pour susciter le dialogue, des rapprochements, inviter à la poétique.
Géométrie résurgente : laisser transparaître les structures géométriques présentes dans les œuvres de ma mère, pour amorcer un partage.
Le strict nécessaire pour optimaliser la sensation. L’infime indispensable pour engendrer l’émotion.
Les Griffées : griffer la surface recouverte de gesso pour révéler les couleurs sous-jacentes, chercher des rythmes, une vivance… Renouveler le percevoir, stimuler l’interrogation.
Inscrire des traces, juste suffisantes pour faire chanter la matière, satisfaire à l’expression…
Telle une écriture musicale…
Les Angulées : Interventions sur les bords de la surface, tentation de la géométrie, plus pour le dynamisme que pour une recherche formelle, sur les thèmes du bord, de la limite, de la frontière. Moins pour générer de la forme que pour explorer les origines du possible. Moins pour créer du sens que pour percevoir par les sens.

Comme l’Ardoise : Oser recouvrir entièrement certaines toiles, poncées et travaillées en manière d’ardoise : en plus de pigments, la surface est couverte de graphite. Rimes ou consonances…
Gris pierre : En écho à la pierre, des surfaces porteuses de symphonies ou de chuchotements, en gris et noir… pour prolonger mes interrogations, inviter à la méditation.

Rimes et chuchotement
Pas de cris, pas de crime, mais une rime avec l’enfoui, un écho venu de l’au-delà, un recouvrement d’amour, tout juste murmuré, chuchoté… sans châtiment.
Anne Gersten

Notes
1. « Chemin de traverse » : œuvre monumentale de Florence Fréson, Musée en plein air du Sart-Tilman, 2002.
2. Wégimont Culture n° 62, Février 1991.
3. Barnett Newman (1905-1970) : artiste et historien de l’art de l’École de New York.

  Rimes et chuchotement

Marc Renwart 2019

Un son inattendu qui se transforme en musique. Un murmure devenant
assourdissant. Une trace qui se transforme en chemin. Un présent qui se
confond avec le commencement.

De ce paradoxe qui transcende ce qui est de toujours en nouveauté,
de cet oxymore qu’est l’évidence du secret.

L’une de l’autre, l’autre avec l’une, l’une sous l’autre, l’autre sur l’une.
Une fusion inimaginée parce qu’inimaginable a surgi.
De l’irréductible appauvrissement aux éblouissements de la résilience.

Autre support, autre matière, autre méthode. Finalité inchangée
puisque inchangeable.
De la pierre à la peinture, de la peinture à la pierre. Continuité d’une
mouvante stabilité.
Flux et reflux, tradition et invention, transmission et découverte.

Se mettre en disponibilité pour l’inopiné.
Créer à partir de qui, littéralement, vous a créé.
Rien de tout cela n’était prévisible et pourtant c’est advenu.

Ressemblance, dissemblance, vraisemblance.
Accident, incidence, apparence.
Hasards et nécessité.

Étonnement perpétuel.
Réfléchir malgré soi.
Se soumettre à la pensée.

Amener par là même à percevoir toutes les singularités de l’âme.
Les scruter jusqu’à l’infini
En saisir ce qui nous donne consistance et se laisser surprendre

Au premier regard, de la concordance.
Au deuxième, du questionnement.
Au troisième de l’émerveillement, de l’enchantement, du ravissement.

Ainsi du rien au rien, la splendeur de l’être là.
Marc Renwart, janvier 2019.


Les manifestations sont organisées par l’asbl Wégimont Culture,
avec le soutien du Service culture de la Province de Liège
et en collaboration avec la Fédération Wallonie-Bruxelles.

La Galerie de Wégimont est située sur le parking bas du Domaine provincial
Chaussée de Wégimont, 76 -4630 – Soumagne
Gsm : 0477 38 98 35
 e-mail : info@wegimontculture.be
Visites les samedis et dimanches de 14 à 18 heures et sur rendez-vous
http://wegimontculture.be
Photos Comptoir d’estampes : wegimont.zonerama.com
https://www.facebook.com/wegimontculture


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