Denise Gilles
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Passion du NOIR
Née en Ardenne belge, Denise Gilles entame une carrière artistique au sortir d’une formation à l’Académie des Beaux-Arts de Verviers. Dès 1960, et durant près de 30 ans, elle privilégie le travail au couteau et pratique la peinture figurative, de paysages ou d’inspiration naïve.
Elle découvre la peinture de Pierre Soulages lors d’une exposition à La Boverie à Liège en 1980, mais il faudra encore une dizaine d’années avant que l’artiste se lance dans l’abstraction.
C’est à « Silence les Dunes » à Heusy, en 1991, qu’elle présente pour la première fois sa peinture informelle. Les expositions solos ou collectives se multiplient. De 1993 à 2003, elle participe à de nombreux salons d’avant-garde à Paris, dont le célèbre Salon « Réalités Nouvelles », de 1996 à 2000. Ses œuvres sont présentes dans de nombreuses collections publiques, en Belgique et à l’étranger, dont la Fondation Mondrian aux Pays-Bas et le Musée d’Art contemporain IKOB à Eupen. L’artiste, toujours en quête de renouvellement, continue de peindre dans la veine abstraite.
qui anime mon besoin de peindre (…). »
(extrait de Parcours, Denise Gilles)
Sous un soleil noir
Pierre Somville
Il semble que Denise Gilles soit entrée en Abstraction comme on entrait jadis en Religion. « Exercice de la peinture » disait Bazaine ; l’exercice spirituel, dès lors, n’est jamais bien loin. Mais de quoi s’agit-il au fait ?
D’une illumination paradoxale suivie d’une brève cécité, voire d’une perte de parole, entraînant un retour sur soi ; un refus temporaire du monde extérieur et une plongée tout intérieure dans un univers de ténèbres. Puis, quand on aura refait surface, rien ne sera plus pareil. Les mondanités sensorielles seront à jamais marquées par cette noirceur : heart of darkness.
Toutefois, le moment le plus sensible de l’expérience reste celui du rebond lié à l’illusion (heureuse ?) d’avoir peut-être touché le fond. Alors, on remonte, lesté d’une nostalgie impérissable. Voilà l’une des possibilités du chemin… En écrivant ceci, d’ordre général, je n’ai cessé de penser aux dernières versions de l’œuvre peinte de Denise Gilles.
Après avoir abandonné les riantes couleurs et traversé, aux limites de l’asphyxie, diverses sortes de chaos, elle plonge et, depuis quelques décennies, nous évoque à nouveau l’ordre, après l’abîme entrevu et les attentes de rebond.
Ceci dit, la peinture du noir — qui est une couleur — a depuis longtemps acquis ses lettres de noblesse : de Grünewald à Goya et de Soulages à Kapoor. Quant à ces deux derniers, notre artiste s’en dégage heureusement.
On ne trouve plus chez elle de ces lourds madriers entre croisés sur fond de lumière diffuse, ni ces noirs mats absolus apparemment sans issue, mais bien, sur un écran sombre où l’anthracite le dispute parfois à des reflets de cendre chaude, telle percée inattendue d’un piment rouge, telle ligne d’orange dressée comme un fléau de balance ou le mince liseré argenté d’une immobile chute d’eau. Ainsi la vie reprend ses droits, au bout du Voyage.
Enfin, revenant au motif, permettez-moi de citer quelques lignes de mon essai Mimésis et art contemporain. C’est au chapitre « L’abstraction » :
Mais d’abord, il y eut les inventeurs ceux qui s’avisèrent que si, vraiment, « ceci n’est pas une pipe », il est oiseux d’en proposer le simulacre, et que c’est là perdre son temps. Un précieux temps-lumière, au contraire, granulé et atomisé, devra être instauré, de même qu’un nouveau regard sera porté d’urgence sur les choses extérieures et intérieures à l’homme.
Les premiers artisans de cette nouvelle vision vont véritablement « abstraire » du visible obvie des formes de plus en plus purifiées, raréfiées, et simplifiées jusqu’au résumé par trait, hiéroglyphe, signal de moins en moins lisible…
Partant de là, le spectateur pourra, s’il le souhaite, essayer de refaire le chemin en sens inverse. Après l’émotion première – condition sine qua non — il tentera de revivre le travail de l’artiste : abrasion, grattage, décapage jusqu’à l’os ou le silex, sous la vivante verdure. C’est qu’il s’agit d’atteindre le moi profond des choses, vainement pisté par le philosophe, alors que l’artiste, rien qu’en posant la question, trouve par l’apparent raccourci de son expression la seule forme de réponse possible, admirablement physique, puisqu’un support et des matières en sont le nécessaire écran.
Au mieux, on revient de cet aller-retour, rasséréné comme après une catharsis. Merci l’artiste !