Thierry Wesel

Châssis-croisés
lundi 27 mars 2023
popularité : 24%

Du lundi 27 mars 2023 au dimanche 26 juin 2023
Galerie du Cinéma Churchill, rue du Mouton Blanc à 4000 Liège
Galerie ouverte tous les jours de 14 à 24 heures, les week-ends et fériés de 12 à 24 heures.
Pour tout renseignement – asbl Wégimont Culture :
0477 38 98 35 - info@wegimontculture.be

Splendeur et misère

Solitaire, Thierry Wesel aime se promener dans des lieux insolites où personne ne va plus, ne vit plus. Appareil photo en main, il explore les ruines de bâtiments abandonnés là où le silence règne au milieu des murs délabrés, des vitres cassées, des fers à béton rouillés et quelques barbelés qui tentent de protéger le lieu, en attente …
En attente, souvent longue, d’une décision de réhabilitation ou … de démolition. De toute façon, quoi qu’il advienne, tout aura changé et le passé sans doute sera vite oublié.
Entre-temps, les affres du temps s’acharnent et finissent par venir à bout, ou presque, de ces murs, ces toits, ces fenêtres élevés dans la brique, le béton et le verre pourtant conçus pour durer, résister, protéger. Les affres de la vie aussi ajoutent à la désolation des murs écroulés, des toits effondrés, des vitres brisées, lorsque les laissés-pour-compte de notre société squattent le bâtiment et y expriment leur colère ou leur désespoir.

Thierry Wesel, Châssis-croisés, 2022, sérigraphie, 500 x 500 mm.

Les investigations de Thierry Wesel l’ont conduit dans deux illustres hauts lieux de la vie liégeoise : l’ancien hôpital de Bavière et l’université du Val-Benoît. On connaît aujourd’hui leur destinée. De l’hôpital de Bavière, il ne restera quasi rien. Le Val-Benoît, quant à lui, s’anime déjà d’une nouvelle vie, d’une autre vie, loin des étudiants et des ingénieurs aujourd’hui définitivement relocalisés sur le campus du Sart Tilman.

Dans ces déambulations au cœur des ruines, ce sont les fenêtres qui ont attiré le regard de Thierry Wesel et plus particulièrement, l’encadrement – le châssis. Comme si, de la fameuse fenêtre albertienne, il nous donnait à voir la fenêtre elle-même, le cadre, et non ce qu’il y a au-delà. Mais, loin d’Alberti, la fenêtre de Thierry Wesel n’ouvre sur rien, ne raconte aucune histoire. Son rôle s’inverse, elle nous tient au dehors, dans la lumière, et son ouverture à travers les bris de vitres ou leur disparition, nous plonge dans le noir ou nous renvoie les reflets du monde extérieur qui l’obstruent tout autant. La lumière est éteinte. Les verrières sont cassées, elles ne disent plus le bouillonnement de la vie et des activités disparues.
Sur certaines fenêtres aux vitres brisées, semble surgir un motif abstrait étrange, un aplat de couleur noire au contour déchiqueté tranchant sur la blancheur opaque du verre. Ce qui nous semble un motif peint n’est évidemment que le vide, le béant résultant du vitrage éclaté qui laisse entrevoir les profondeurs désertées de l’intérieur du bâtiment. Et pourtant ce vide, d’un noir profond, semble avoir une présence réelle, la présence de l’absence comme, peut-être, voulait l’exprimer Malevitch dans son fameux Carré noir sur blanc. Pour rendre la présence de l’absence, Malevitch, pour mieux s’éloigner de toute référence possible au monde réel, a choisi un carré, la forme la plus neutre et la plus minimale qui soit. De ce carré d’un noir intense, plat, frontal, inscrit dans un carré blanc, n’émane que le silence, celui de la plénitude et de l’apaisement de l’âme. Dans les « tableaux » de Thierry Wesel, le motif, noir sur blanc, mais informe, tranchant et déchiqueté, en serait la version tragique.


Thierry Wesel, Châssis-croisés, 2019, sérigraphie, 500 x 500 mm.

N’y voir que du noir serait passer à côté de la véritable alchimie de l’art de Thierry Wesel. Après la prise de vue, les clichés photographiques passent sur le tamis de la presse sérigraphique et là, l’artiste, par la magie des couleurs transmue la misère en une vision empreinte d’une poétique splendeur. La couleur s’immisce dans la grisaille et l’illumine. Un vert émeraude, féerique, redonne tout son lustre à la géométrie parfaite des formes et des rythmes des croisures des châssis métalliques, caractéristiques du style moderniste des bâtiments élus par l’artiste. Accord parfait lui aussi, avec la coloration tout en subtilité des roses et mauves, plus ou moins légers ou appuyés, qui teintent les pans de mur retenus par le cadrage serré autour de ce motif unique, le châssis.
Sans doute empreints d’une nostalgie de la splendeur disparue de temps révolus, ces lieux de délabrement sont prodigieusement réenchantés. Et nous plonge, un peu à la façon des romantiques, dans la fascinante beauté des ruines. Misère et Splendeur, châssis-croisés.

Anne Gersten

Note sur l’histoire et l’architecture

Le Val-Benoît (Université de Liège)

En 1924, l’université de Liège achète une dizaine d’hectares de terrain autour des ruines de l’ancienne abbaye cistercienne dont l’origine remonte au XIIIe siècle. De 1924 à 1937, de nouveaux bâtiments y sont construits, dans une architecture moderniste dans l’esprit du style et des techniques du Bauhaus, pour permettre l’enseignement des sciences et des techniques en constante évolution.

Centrale thermoélectrique et laboratoire de thermodynamique. Architecte : Albert Duesberg, 1932-1937. Photo : Collections artistiques de l’Université de Liège


Constitué d’une succession de bâtiments à toit plat, de forme cubique et parallélépipédique, presque entièrement vitrés, l’ensemble est dominé par une tour emblématique haute de 50 mètres, véritable signal et repère visuel dans le paysage.
Lieu d’expérimentation scientifique, cette tour comprend les escaliers menant aux différents niveaux) ainsi qu’un réservoir d’eau (en vue de parer un éventuel incendie) et un gigantesque manomètre.
À partir de 1967, l’université s’installe au Sart Tilman et les bâtiments sont progressivement abandonnés. Les derniers étudiants et professeurs quitteront définitivement le site en 2006. Totalement abandonné pendant plusieurs années, le site est squatté, vandalisé, détérioré. Il connaît aujourd’hui une nouvelle vie avec plusieurs réhabilitations aujourd’hui déjà opérationnelles.
C’est la centrale thermoélectrique et le laboratoire de thermodynamique avec sa fameuse tour qui restèrent le plus longtemps à l’abandon. C’est là que Thierry Wesel a immortalisé les débris de fenêtres et leurs châssis en visions poétiques.

Relvons encore les principaux points de cette architecture avant-gardiste :

  • l’utilisation du béton armé pour les structures et le béton bouchardé en façade
  • les fenêtres en larges bandeaux horizontaux
  • les grandes baies vitrées dans des châssis métalliques
  • le rejet de l’ornementation

L’ancien Hôpital de Bavière : l’Institut de stomatologie

Hôpital de Bavière. Institut de stomatologie en construction. Architecte : Charles Servais, 1939. Photo : Collections artistiques de l’Université de Liège


Cet édifice fut construit à la même époque que le Val-Benoît. Il mêle les influences du Bauhaus (toit plat, volumes cubiques, utilisation du béton, du verre et du métal), de l’art déco (coins arrondis) et du style régional (utilisation de la brique locale pour les façades).
La modernité de cet édifice se manifeste essentiellement dans la cage d’escalier/ascenseur en façade, entièrement vitrée, ainsi que dans les rythmes variés des volumes et des verrières de l’ensemble des bâtiments.
À l’origine, le bâtiment comprenait quatre niveaux. Deux niveaux ont été ajoutés dans les années 70.
Le bâtiment resta en service jusqu’en 2001. Malgré une mobilisation pour la défense de ce patrimoine architectural exemplatif de la modernité des années 30, sa démolition fut ordonnée par la Ville de Liège en janvier 2018 et commencée en avril de la même année.

Anne Gersten

Portfolio

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